La Caravane Mouv’enfant prend ses quartiers pendant quelques jours sur l’Île de Beauté, marquant ainsi la présence d’Arnaud Gallais en tant qu’invité de la rédaction sur Radio Bleu RCFM. Au cours de cette entrevue, le co-fondateur de Mouv’enfants et ancien membre de la CIIVISE partage son témoignage et aborde les statistiques clés liées à l’inceste et à la pédocriminalité en France. Il dénonce vigoureusement une politique qu’il juge tiède et insuffisante en matière de prévention, de coordination et de justice dans ces affaires.
Patrick Vinciguerra : Arnaud Gallais, bonjour. En France, 160 000 enfants sont chaque année victimes de violences sexuelles. La moitié de ces victimes ont moins de 9 ans. 80% des agressions ont lieu au sein de la famille, soit des incestes. S’agit-il de chiffres établis sur la base de plaintes ou s’agit-il d’une seule évaluation ?
Arnaud Gallais : Non, c’est une évaluation. L’ONDRP, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, dit qu’il y a moins de 4% des enfants qui déposent plainte. On sait qu’en 2019, par exemple, il y a eu 23 000 plaintes qui ont été déposées. En réalité, quand on dit qu’ il y a 160 000 victimes chaque année, c’est une fourchette basse. Après je pense qu’il ne faut pas non plus être dans quelque chose d’anxiogène, mais c’est une évaluation qui doit, pour nous adultes, nous interpeller, c’est une évidence.
Patrick Vinciguerra : Donc le chiffre pourrait être plus important ? la Corse n’est pas épargnée par ce fléau ?
Arnaud Gallais : Non, la Corse, comme tous les territoires, n’est pas épargnée. Pourquoi ? Parce qu’en réalité, vous l’avez dit à juste titre, 80% de ces violences ont lieu au sein de la famille. On a un agresseur, qui bien souvent est une personne soit de la famille ou un proche, qui peut, à ce titre, faire ce qu’il veut de l’enfant, parce que l’enfant a une confiance absolue. Donc c’est ça le sujet qui est majeur. En Corse, comme ailleurs, ça se produit.
Patrick Vinciguerra : Votre démarche avec la Caravane de lutte contre les violences sexuelles a débuté à Bastia ce lundi ( 15 janvier 2024) , elle se poursuivra ce mardi à Corte et puis demain à Porto Vecchio et jeudi à Ajaccio. On a entendu lors de cette première journée une assistante sociale travaillant en Corse et un pédopsychiatre dire que l’Etat, la France ne protège pas ses enfants. Ce constat est terrible ? Vous le partagez ?
Arnaud Gallais : Bien sûr c’est un constat que je partage et c’est pour ça aussi l’idée c’est de se rendre au niveau des territoires. Jusqu’à présent j’étais membre d’une commission, La CIIVISE la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, qui était au sein d’un ministère. Mais je me suis dit : « mince on fait fausse route si on reste sur paris » et d’aller à la rencontre des personnes. Vous parlez de l’assistante sociale, on se rend compte qu’il y a des ressources partout, et il y a de très belles ressources en Corse. Sauf que là où cette personne a raison, c’est de dire qu’on manque cruellement d’une volonté politique qui permettrait aussi de coordonner. Ce matin, on a parlé énormément, les professionnels manquent de coordination. Où est l’État en réalité sur ces questions-là ? On se rend compte que les gens font ce qu’ils peuvent, personne ne coordonne en réalité. Les solutions, on les connaît sur le terrain.
Patrick Vinciguerra : Ce n’est pas simple non plus, 80% de ces agressions se passent au sein de la famille, donc il y a une omerta familiale. Comment on prévient ? Comment on protège ? Vous-même vous avez été victime de ces violences sexuelles, vous l’avez écrit dans un livre, c’est pour ça que j’en parle, J’étais un enfant .
Arnaud Gallais : Comment est-ce qu’on prévient ? Déjà, il faut qu’on parvienne à se dire et à être conscient du fait que 9 fois sur 10, et c’est ce qu’a démontré d’ailleurs la Ciivise – on a recueilli 30 000 témoignages en 2 ans – on ne protège pas les enfants. 9 fois sur 10. C’est-à-dire qu’on est en capacité de dire à un enfant, je te crois mais je ne te protège pas, et notamment je ne te protège pas parce que ça risque de faire exploser la famille, ou parce que, je sais pas, c’était un jeu, ou parce que pour les filles, très souvent ce qui revient, c’est parce que tu l’as peut-être cherché, etc. Moi j’ai parlé, c’est pour ça que je tiens beaucoup à la question du signalement. J’ai parlé grâce aux médias, j’ai entendu des témoignages de victimes. Si vous voulez, il faut bien comprendre qu’un enfant, quand il est victime de viol, il n’a pas le logiciel. Il n’a pas le logiciel, pourquoi ? Parce que moi, par exemple, à l’époque, comme pour vous et bien d’autres, on nous a dit : « tu comprends, fais attention si quelqu’un te propose des bonbons » ou « un viol, c’est quelque chose avec des violences physiques ». Moi, je n’ai jamais eu de violences physiques de mon agresseur directement, j’ai été violé par un prêtre missionnaire qui était un grand oncle entre l’âge de 8 ans et 11 ans. Jamais il n’a fait usage de la force, jamais. Donc je n’ai pas compris ce qui s’était passé. J’ai compris grâce à des témoignages. Ça c’est quelque chose d’important. Et je n’ai pas eu la force de déposer plainte après, j’ai eu peur. Et c’est parce que les faits ont été signalés par la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église, la fameuse commission Sauvé, puisque c’est un prêtre missionnaire, que j’ai déposé plainte. Nous devons protéger les enfants, dans le doute, pas de doute, on signale, on fait une information préoccupante, on appelle le 119, il faut qu’il y ait des réflexes qui soient les nôtres, c’est ce message-là qu’il faut porter. Mais aujourd’hui, on voit bien qu’on est quand même très loin de tout ça. Il faut qu’on prenne cette responsabilité, nous, adultes, et ça c’est important qu’on soit professionnels, ou non d’ailleurs.
Patrick Vinciguerra : On prévient, on protège, et ensuite il faut accompagner ces enfants victimes.
Arnaud Gallais : Exactement, vous avez raison, c’est-à-dire qu’on prévient, on protège et il faut accompagner les enfants victimes. Et là aussi, le bât blesse, que ce soit en Corse ou ailleurs, on se rend compte que les soins adaptés en matière de psycho-trauma, souvent on ne les a pas. Et c’est là qu’on parle aussi d’une volonté politique. On demande au ministère de la Santé qu’il se bouge aussi par rapport à une inégalité territoriale. Moi je le dis avec force, et c’est pour ça que je viens ici en Corse, je suis convaincu que j’ai de la chance d’une certaine manière d’être à Paris, parce que je pense qu’on ne vit pas de la même manière quand on est victime, qu’on soit à Paris, qu’on soit à Bastia, qu’on soit à Cayenne, je pourrais multiplier les exemples. Donc ça suffit, le pacte républicain est attaqué sur ces questions-là, il faut absolument qu’on le rétablisse, et aujourd’hui on a dû s’en saisir. Effectivement, vous avez raison, pour la question de l’accompagnement qui est fondamentale et tellement évidente, on n’est pas bon en France, il faut le dire.
Patrick Vinciguerra : Et bien ce sera notre conclusion. Merci Arnaud Gallais d’avoir répondu à mes questions. Je rappelle le titre de votre ouvrage J’étais un enfant où vous racontez votre expérience.
Arnaud Gallais : Exactement. Merci à vous.