Mouv’Enfants a organisé, sous l’égide de Xavier Iacovelli, sénateur des Hauts de Seine, un colloque sur l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineur.e.s qui s’est tenu le jeudi 20 mars de 14h à 16h30 au Sénat. Tous les sénateurs ont reçu une invitation de la part de Mouv’Enfants pour participer à ce colloque, ainsi qu’un dépliant présentant les enjeux, la nécessité et l’urgence de voter en faveur de l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineur.e.s.
C’est Arnaud Gallais, cofondateur et président de Mouv’Enfants, qui a animé le colloque et distribué la parole entre les différent.e.s intervenant.e.s, en soutien à la réintégration de l’article 1e concernant l’imprescriptibilité civile dans la proposition de loi n°669 d’Aurore Bergé visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants. La discussion en séance publique est prévue pour le 03 avril 2025, c’est une occasion historique de permettre à toutes les victimes de demander une reconnaissance civile de leur statut de victime et d’obtenir justice.
« Il n’y a pas de date limite pour le trauma, il est à vie », Isabelle
La parole des victimes était au cœur de ce colloque, plusieurs victimes y ont partagé leur témoignage et l’artiste Vanessa Aiffe Ceccaldi y a lu de nombreux récits de victimes qui n’ont pas pu être présentes. Elle a aussi eu le courage de livrer son propre vécu en tant que victime n’ayant pas eu le droit de mener son combat en justice, le délai de prescription étant dépassé. Pour Arnaud Gallais « la prise de parole des victimes est politisée » et de nombreuses victimes sortent du silence pour obtenir justice mais également pour protéger d’autres enfants.

« Je pense qu’on doit leur tendre la main et leur dire, quand vous serez prêt.e, la justice sera là », Valérie Van Peel
Il est indispensable que la France se positionne de manière très claire en faveur de la protection des victimes mineures de crimes sexuels et de la lutte contre les violences faites aux enfants, à l’image des pays comme la Suisse, les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique ou encore l’Angleterre qui ont voté l’imprescriptibilité de ces crimes, et en accord avec la résolution 2330 du Conseil de l’Europe qui exhorte les pays européens à supprimer la prescription pour les violences sexuelles sur les mineur.e.s.
En Belgique, c’est Valérie Van Peel, ancienne Vice-présidente de la chambre des représentants de Belgique, qui a mené un combat transpartisan afin de dépasser les clivages et de porter le combat collectivement. Elle n’a pas pu être présente au colloque mais avait transmis une vidéo, dans laquelle elle a souhaité partager des témoignages de survivant.e.s. Elle est convaincue que « le choix appartient à la victime, pas au système » et estime que même si cette loi n’est pas miraculeuse car il y a encore beaucoup d’affaires classées faute de preuves, elle offre néanmoins une chance supplémentaire aux victimes d’obtenir réparation. Par ailleurs, il a été observé dans d’autres pays que l’imprescriptibilité permettait d’améliorer les techniques d’enquête.

« Il faut du temps pour arriver à porter plainte, il faut parfois toute une vie », Charlie
Rendre ces crimes imprescriptibles, c’est permettre aux victimes d’obtenir une reconnaissance et une réparation des traumatismes endurés, en prenant en compte un phénomène désormais reconnu par les experts en santé mentale. C’est Muriel Salmona, fondatrice et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, qui a pris la parole sur le sujet. Elle a pu démontrer que le temps nécessaire aux victimes pour libérer leur parole peut prendre des dizaines d’années du fait de l’amnésie traumatique qui touche autour de 40% des enfants victimes d’inceste, des mécanismes de dissociation liés au choc traumatique et de la culpabilité et du déni puissants dans lesquels elles sont enfermées, la plupart du temps entretenus par les agresseurs eux-mêmes.
Pour de nombreuses victimes, lorsque leur parole est enfin prête à se libérer, le fait qu’il ne soit plus possible de déposer plainte est incompréhensible et constitue une violence supplémentaire, ainsi qu’un sentiment d’abandon et d’injustice. Elle a insisté sur le fait qu’il est intolérable de donner l’accès à la justice à certaines victimes mais pas à d’autres et que ce sont « les défaillances majeures de la société qui génèrent ce temps si long pour les victimes ».
Ce combat est mené à la lumière de l’actualité et des différentes affaires judiciaires qui nous confrontent aux limites de la prescription mais cela fait plusieurs années que des associations, dont Mouv’Enfants et Mémoire traumatique et victimologie, portent cette lutte, la première grande campagne ayant été menée en 2016. Elle a donné suite à une enquête en 2022 qui a révélé que 90% des français étaient favorables à l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineur.e.s.
« Le droit doit évoluer », Sarah Abitbol
Sarah Abitbol, fondatrice et présidente de La Voix de Sarah, a souligné le fait que le droit avait évolué dans le bon sens avec l’introduction de la notion de prescription glissante dans la législation française en 2021. Elle permet au délai de prescription du viol sur un enfant d’être prolongé si la même personne viole ou agresse sexuellement par la suite un autre enfant jusqu’à la date de prescription de cette nouvelle infraction. Mais cette évolution n’est pas suffisante, la France comme la Belgique devrait être capable de supprimer la prescription pour les crimes sexuels sur mineur.e.s. Elle finit par poser une question essentielle : « l’imprescriptibilité est réservée aux crimes contre l’humanité, l’abus d’un enfant n’est-elle pas un crime contre l’humanité toute entière ? »

C’est également le propos de Sokhna Fall, vice-présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, qui a explicité l’aberration de ne pas considérer les violences sexuelles sur mineur.e.s comme un crime contre l’humanité alors qu’elles sont un crime contre le développement psychique et physique de la victime, contre son insertion sociale et son devenir parental. Elle a établi le parallèle entre l’inceste, système de pouvoir et « organisation politique », et les méthodes génocidaires.

« J’ai la conviction que nous sommes en présence d’un crime contre l’humanité», Jean- François Blanco
Jean-François Blanco, avocat au barreau de Pau qui représente cinq des victimes de l’affaire Bétharram, a également parfaitement illustré le parallèle entre les crimes sexuels sur mineur.e.s et la définition d’un crime contre l’humanité. Il y voit un système de terreur dont les châtiments corporels, les supplices, les viols, les traitements inhumains et la torture sont autant d’atteintes aux droits fondamentaux et à l’intégrité physique d’une personne, ici les enfants. Il existe une notion supplémentaire nécessaire pour constituer un crime contre l’humanité : le plan concerté. Concernant Bétharram il y a bien un plan concerté qui consiste à ignorer les enfants, ceux-ci représentant un vivier pour les prédateurs sexuels de l’institution, avec l’appui d’une congrégation qui a connaissance depuis le début des sévices, tout en donnant une réponse claire aux victimes en exfiltrant, en protégeant et en éloignant les criminels.
Jean-François Blanco voit dans la religion un autre point très significatif d’un crime contre l’humanité dans l’affaire Bétharram, « la religion étant le vecteur des crimes sexuels ». En effet, le recours à la religion avec un discours sur le sacrifice, la souffrance, permet à l’Église de se doter d’une violence légitime, comme si ces victimes devenaient expiatoires.
Son intervention fut appuyée par le témoignage d’Éric Arassus, ancien élève et victime de l’institution Notre-Dame de Bétharram.

« Le mot prescription rime avec injustice », Arnaud Gallais
Le combat ne porte pas uniquement sur la fin de la prescription des crimes sexuels sur mineur.e.s. L’association Mouv’Enfants se bat également pour l’imprescriptibilité des faits de non-dénonciation et de dissimulation de ces crimes. Arnaud Gallais a illustré cette volonté en s’exprimant sur l’affaire de l’Abbé Pierre, accusé de faits de harcèlement, d’agressions sexuelles et de viols, et mort avant d’avoir pu être jugé : « il y a des gens aujourd’hui qui sont encore en vie, qui ont couvert ce système-là et qui ne répondront jamais de leurs actes. Pourtant les victimes sont bien en vie et elles, leur peine est imprescriptible ».
« La prescription est une forme de soutien symbolique à la transmission intergénérationnelle de l’inceste », Sokhna Fall
Pour les victimes mineures de violences sexuelles, la peine est imprescriptible. Les agresseurs, eux, jouissent d’une impunité à vie. Il est grand temps que les sénateurs.rices agissent en faveur d’une réparation collective de la société qui, dans sa grande majorité, n’agit pas ou très peu face à ces violences, entretenant le coût du déni et le sentiment d’impunité. Le vote de l’imprescriptibilité pénale et civile des violences sexuelles sur mineurs et des faits de non- dénonciation est une étape nécessaire pour sortir du déni et tendre vers une culture de la protection des enfants.
Un grand merci aux intervenant.e.s pour leur présence, leur courage et pour ces échanges qui font avancer notre combat. Nous ne lâcherons rien.
Édouard Durand, coprésident de la CIIVISE de 2021 à 2023 et premier vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au tribunal judiciaire de Pontoise, et Patrick Klugman, avocat au barreau de Paris, n’ont malheureusement pas pu participer au colloque en raison d’obligations professionnelles.
Vous pouvez retrouver la captation complète du colloque ici.
Article rédigé par Gabrielle Beilleau
SOURCES
Manifeste imprescriptibilité des crimes sexuels – Mémoire traumatique et victimologie https://www.memoiretraumatique.org/campagnes-et-colloques/2016-manifeste-imprescriptibilite-des-crimes-sexuels.html
Les français et les représentations sur le viol et les violences faites aux femmes – Enquête Ipsos pour Mémoire traumatique et victimologie https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/campagne2022-ipsos3/2022-Enquete-Ipsos-Memoire-Traumatique-et-Victimologie.pdf
Résolution 2330 (2020) – Parliamentary Assembly of the Council of Europe
https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=28673&lang=FR#:~:text=APCE%20%2D%20R%C3%A9solution%202330%20(20 20),et%20la%20coop%C3%A9ration%20en%20Europe