Un « survivant » est désormais à la tête d’un mouvement de défense. Arnaud Gallais est de passage dans l’océan Indien à partir d’aujourd’hui. Il va rencontrer des victimes et des professionnels intervenant dans ce domaine.
Arnaud Gallais, 42 ans, est co-fondateur de Mouv’Enfants. Il est membre de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Issu d’une famille bourgeoise, il a été violé entre 8 et 11 ans par un prêtre missionnaire, qui était son oncle, puis à douze ans par deux cousins. Il figure parmi les 22 signalements de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église.
M. Gallais est parti hier soir pour Mayotte. Jeudi, il mènera un débat inversé, dans l’hémicycle du Conseil départemental, à Mamoudzou. SeIon ses mots, dans un débat inversé, « tous les participants sont experts. En somme, il n’y a pas de public, ni d’estrade. C’est un exercice de démocratie participative. »
À chaque étape de la caravane (lire ci-dessous) sont conviés « des associations de protection de l’enfance, des juristes, avocats, psychologues, psychiatre, la brigade des mineurs, la gendarmerie, des victimes, des co-victimes ».
Une étape comprend toujours deux parties. Le matin a lieu une plénière avec « deux témoignages de victimes qui donnent lieu à des réactions dans la salle et permettent de déterminer trois thématiques : prévenir, protéger, réparer. Celles-ci sont discutées en atelier l’après·midi. Ces ateliers donneront lieu à des recommandations et des demandes des actrices et acteurs de terrain. »
Arnaud Gallais veut rencontrer des professionnels de structures médico-sociales agissant sur les territoires indocéaniques français. Ce sera le cas à Mayotte vendredi, puis à La Réunion lundi 18.
Le mardi 19, de 9 heures à 16 heures, il mènera un débat inversé à la Petite Bulle, route du théâtre. Une soixantaine de personnes devraient répondre présentes.
Jeudi 21 décembre, à 14 heures, dans le salon d’honneur de l’hôtel de ville de Saint-Denis, aura lieu une restitution des travaux de la Ciivise. « Je suis honoré d’être présent le 20 décembre à La Réunion, affirme celui qui est aussi anthropologue. C’est important pour moi, ainsi que pour le mouvement que je préside, qui est composé de survivants de violences sexuelles. On s’inscrit dans la lutte antiraciste ».
« On n’a pas le choix de vivre avec cela, il est important d’agir. La naissance de mon fils en 2015 a été un élément déclencheur fort : pourquoi on n’agit pas autant ? » se demande M. Gallais, qui note certaines actions positives du gouvernement, comme la mise en place de la Ciivise en 2021. Mais cela ne change pas le sort des 160 000 jeunes victimes chaque année, « un massacre de masse ».
Les chiffres sont tristes : sur 30 000 témoignages recueillis par la Ciivise, en un peu plus de deux ans, seuls 8% d’entre eux ont obtenu « un soutien social positif : je te crois, je te protège, décrit M. Gallais. Sur ces 8 %, 62 % n’ont eu aucune conséquence sur leur santé, physique et psychique. » Ce qui n’est pas le cas pour 92 % des personnes victimes. « On leur a dit, je te crois, mais c’est compliqué, ou tu l’as cherché, tu étais une aguicheuse », énumère M. Gallais. C’est un cas de non-dénonciation de crime, souligne-t-il. « Je ne sais pas s’il y a plus de violences sexuelles outre-mer, mais, si tel est le cas, je vais vous dire pourquoi : tous les territoires où l’État se désengage, ne joue pas son rôle d’État providence, de protection de l’enfant, sont plus impactés. » Il a été effaré par ce qu’il a vu par exemple en Guyane, avec jusqu’à 12 ou 13 jeunes accueillis dans une famille : « Où se permettrait-on cela ? »
« Il y a aussi de belles choses qui se passent sur le terrain, mais on manque de volonté politique, qui permette de lutter contre ces violences, constate M. Gallais après de nombreuses rencontres. Les professionnels font ce qu’ils peuvent, ils bricolent des choses, sauf qu’il n’y a aucune volonté de partager ces belles réussites. »
Les violences sexuelles contre les enfants sont-elles un crime contre l’humanité ? C’est au moins « un crime contre l’humanité du sujet, notamment en cas d’inceste », affirme M. Gallais. Par-delà ce triste constat, Arnaud Gallais a un message d’espoir : « On a besoin de forces vives pour faire vivre le mouvement. On est tous capables de changer les choses, que la protection des enfants devienne une priorité. »
Articles de Guillaume Boyer, Le Quotidien de la Réunion, 12/12/2023