[France Info] Angélique Mouly : la nouvelle présidence de la CIIVISE porte des positions aux antipodes de la commission

Le 15 décembre, Angélique Mouly, membre de la CIIVISE et de Mouv’Enfants, explique sur France Inter pourquoi 11 membres de la CIIVISE démissionent

Angélique Mouly : France Inter, Ali Baddou, Marion Lourd.

Ali Baddou : L’invité de 6h20 à votre micro, Marion Lourd, était jusqu’à récemment membre de la Commission indépendante sur l’inceste.

Marion Lourd : Jusqu’à sa démission il y a quelques jours, comme dix autres membres de la commission après l’annonce du remplacement du président de la CIIVISE, le juge Durand. Bonjour Angélique Mouly.

Angélique Mouly : Bonjour.

Marion Lourd : Vous présidez aussi la maison d’accueil Jean Bru pour les filles victimes de violences sexuelles intrafamiliales. Vous démissionnez principalement par solidarité avec le juge Durand ?

Angélique Mouly : Je préside le Conseil de la vie sociale de la maison d’accueil Jean Bru et cette démission a plusieurs raisons, dont l’une est effectivement la solidarité envers les coprésidents de la CIIVISE.

Marion Lourd : Et il est remplacé par l’ex-rugbyman Sébastien Boueilh, qui est lui-même victime d’inceste et qui est à la tête d’une association qui s’appelle Colosse aux pieds d’argile. Il est légitime, quand même ?

Angélique Mouly : Une légitimité qui existe, oui. Est-ce qu’elle l’est autant que le juge Durand ? Non. Beaucoup de questions se posent aujourd’hui également sur l’indépendance qu’aura cette personne au sein de la nouvelle CIIVISE, comme elle est appelée, ou CIIVISE 2. On s’inquiète. On s’inquiète de la ligne du gouvernement et de la communication qui est faite autour de l’ensemble de cette affaire.

Marion Lourd : Pourquoi cette inquiétude ?

Angélique Mouly : Le nouveau président et sa vice-présidente portent des sujets et des opinions qui étaient à l’encontre, aux antipodes de ce que les autres membres de la CIIVISE avaient porté. Et on s’inquiète premièrement sur le souhait d’apporter un réel suivi à la mise en place des préconisations.

Marion Lourd : Donc les 82 préconisations qui étaient issues de votre rapport publié récemment.

Angélique Mouly : Oui, tout à fait, les 82 préconisations [de la CIIVISE]. Aujourd’hui, le président et la vice-présidente ont des avis qui divergent [des nôtres] sur ces préconisations et on se demande s’il y aura un réel suivi de mise en place qui va être fait. On se demande quel budget, on se demande quelle équipe, on se demande l’indépendance aujourd’hui. Chaque communication qui est faite de la part du président est accompagnée de la secrétaire d’État, madame Caubel. Dans ces conditions-ci, en plus d’une communication qui est un peu biaisée de la part du gouvernement, qui raconte un petit peu des mensonges à la radio et à la télé, nous forcent à prendre position pour exprimer notre mécontentement face à nos travaux et au traitement qui est réservé à nos membres et à nos coprésidents.

Marion Lourd : Mais vous ne leur laissez pas le bénéfice du doute ? Parce que eux ont des arguments. Ils disent qu’ils veulent « remettre l’enfant au centre des missions de la CIIVISE. » Et puis, encore une fois, le nouveau président a une légitimité.

Angélique Mouly : L’enfant au cœur de la CIIVISE, il y a toujours été ! En posant la question et en écoutant les témoignages, ces 30 000 témoignages qui aujourd’hui sont balayés par le gouvernement et absolument pas cités dans la reconnaissance.

Marion Lourd : Que vous avez recueillis.

Angélique Mouly : C’est ça, tout à fait. Avec ces 30 000 témoignages, nous apportons des solutions pour les enfants d’aujourd’hui, comme ils sont appelés. C’est un peu dommage de les appeler les enfants d’hier, les enfants d’aujourd’hui, mais est-ce qu’on a la capacité d’aller voir tous les enfants aujourd’hui ? Puis les enfants qui sont victimes, il va y avoir de l’amnésie traumatique et la difficulté même d’accéder aux enfants. On prend certains risques. Et puis, nier le savoir expérientiel de ces victimes, pour l’avoir été moi-même, d’apporter tous les dysfonctionnements qu’on a pu rencontrer dans notre parcours de vie, c’est nier le fait qu’on essaie d’améliorer, justement, le quotidien pour ces enfants d’aujourd’hui.

Marion Lourd : Sur les préconisations, parmi les préconisations, les 82 du dernier rapport, il y avait l’imprescriptibilité de l’inceste. Pour vous, cette nouvelle direction, elle risque de ne pas défendre cette mesure-là ?

Angélique Mouly : Sébastien Broueilh s’est tout à fait mis en défaveur de cette préconisation. On ne peut pas revenir dessus, mais est-ce que si on n’est pas d’accord avec la préconisation, on va s’assurer absolument que le gouvernement va la mettre en place ? Ça, c’est aussi la question. Et il y en a d’autres. Pour sa vice-présidente, le SAP, le syndrome d’aliénation parentale, ce n’est pas un vrai sujet.

Marion Lourd : [La vice-présidente] Caroline Rey-Salmon. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en un mot le SAP ?

Angélique Mouly : Oui, le syndrome d’aliénation parentale, c’est quand, pour la plupart et la très grande majorité, la mère va recueillir la parole de son enfant sur des violences sexuelles subies [de la part du père]. Elle va porter cette voix devant la justice. Et finalement, la société et la justice va lui dire « Tu mens, tu essaies d’utiliser ou d’instrumentaliser ton enfant dans le cadre d’une séparation pour ne pas que le père, éventuellement, le voie. On te punit, on exerce des pressions et il va y avoir des punitions juridiques qui existent. Et on va remettre souvent l’enfant, la garde de l’enfant à l’agresseur. » Et nous, on dit ces situations, elles existent, elles sont scandaleuses, elles sont affreuses et il faut y remédier.

Marion Lourd : Autre argument qui est défendu par la nouvelle direction de la CIIVISE. On renforce les missions avec la prise en charge des mineurs victimes de prostitution, par exemple, la pédocriminalité en ligne, la prise en charge des auteurs de violences sexuelles sur mineurs, la formation des professionnels au contact des enfants. Tout ça, ce n’est pas une bonne idée ?

Angélique Mouly : Déjà, ce n’est pas des choses qui sont nouvelles ou en tout cas pour la formation. La CIIVISE initiale, j’ai envie de dire, avait déjà lancé largement ce chantier-là, donc c’est une reprise par la nouvelle [commission]. Et les autres, je n’ai pas dit que c’étaient des mauvais chantiers. Je dis juste qu’il paraît incohérent quand on nous félicite d’avoir aussi bien suivi la feuille de route, que la parole que nous avons portée dans les médias et dans nos préconisations ait été autant plébiscitée par l’ensemble des acteurs, qu’aujourd’hui, on nous remercie de cette façon, aussi qu’on nous dise que finalement la CIIVISE continue, mais sans ses membres, sans ses coprésidents, sans sa doctrine. Et finalement, est-ce que c’est bien la CIIVISE ? Nous, nous n’en sommes absolument pas convaincus. Et c’est ça que nous essayons de présenter aujourd’hui sur cette communication qui est biaisée de par le gouvernement avec les mensonges qui sont présentés, mais également cette continuité qui n’existe pas pour nous. On n’a pas de communication, ce n’est pas normal.

Marion Lourd : Angélique Mouly, en un mot, en une phrase, qu’est-ce que vous avez envie de dire aujourd’hui au ministre, à votre ministre Charlotte Caubel ?

Angélique Mouly : Le président de la République a dit « On vous croit. Vous n’êtes plus seuls. » Nous, nous avons tenté d’aller jusqu’à « On vous protège » parce que « on vous croit », c’est une belle chose, mais est-ce que « on vous protège » ça ne serait pas plus important ? Et pour nous, ça l’était. Aujourd’hui, on a un président ou vice-présidente [de la CIIVISE] qui mise sur l’analyse de la parole des enfants au lieu de la protection systématique. Et il faut rappeler à tous les gens qui nous écoutent que, quand on décide d’analyser la parole, qu’on n’agit pas immédiatement, sans avoir besoin d’être absolument convaincu, ce que l’on fait, c’est renvoyer des enfants se faire violer à la maison.

Marion Lourd : Angélique Mouly, merci de nous avoir répondu sur France Inter.