Sur France Info, Arnaud Gallais explique pourquoi 11 membres de la CIIVISE démissionnent

Eva Thomas et Arnaud Gallais étaient au micro de France Info vendredi 15 décembre 2023

Animatrice : Une démission collective en signe de protestation. Décidément, les remous continuent à la CIIVISE, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, avec hier soir un communiqué. Onze de ses membres annoncent qu’ils claquent la porte. L’un d’eux, Arnaud Gallais, est avec nous en direct dans un instant. Tous dénoncent le changement de présidence annoncé en début de semaine et l’éviction du juge Durand.

Journaliste : Édouard Durand lui-même n’a pas caché sa colère ces derniers jours, confiant son sentiment d’avoir été évincé de la CIIVISE. Onze membres sur 25 au total ont décidé d’apporter leur soutien. Ils quittent cette commission après avoir recueilli 30 000 témoignages de victimes d’agressions sexuelles et d’incestes depuis 2021. Parmi les démissionnaires, Eva Thomas, fondatrice de l’association SOS Inceste.

Eva Thomas : C’est par solidarité avec nous et avec Édouard Durand qui a animé la CIIVISE pendant presque trois ans.

Journaliste : Vous pensez que la CIIVISE ne va pas continuer ce travail ?

Eva Thomas : Pas forcément de la même façon que nous. Il y avait toute une philosophie de travail, justement, sur le respect et tout ça. C’est surtout la façon dont ça s’est passé. Le remplacement d’Édouard Durand, tout ça, on a été informés par la presse.

Journaliste : Votre mandat s’arrêtait bien le 31 décembre ?

Eva Thomas : De toute façon, il s’arrêtait le 31 décembre.

Journaliste : Donc c’est une démission symbolique ?

Eva Thomas : Oui, tout à fait.

Journaliste : Le secrétariat d’État à l’enfance que nous avons contacté salue le travail de la première CIIVISE et regrette, je cite, « le procès d’intention de quelques membres ». Sébastien Boueilh, le nouveau co-président de la CIIVISE, n’a pas souhaité faire de commentaire.

Animatrice : Et avec nous, Arnaud Gallais, bonjour.

Arnaud Gallais : Bonjour.

Animatrice : Vous êtes activiste des droits de l’enfant, vous-même victime, et vous faites partie aussi de ces démissionnaires. Vous entendez la réponse de la secrétaire d’État à l’enfance ? Elle y voit un procès d’intention.

Arnaud Gallais : Oui, puis elle a même dit que c’était politisé. Écoutez, une fois de plus, je pense que cette réponse-là, pour nous, elle est inacceptable, mais comme l’ensemble. Nous, on dénonce le fond et la forme. Sur le fond, on se demande dans quelle mesure est-ce qu’on peut prétendre aller dans la continuité de ce qui s’est fait quand on nomme, notamment comme vice-présidente, Caroline Rey-Salmon, qui est partie de la CIIVISE début 2022, parce qu’elle ne voulait pas, en tant que médecin, que soit inscrite une obligation de signalement [des suspicions de maltraitances sur enfants] pour les médecins, là où la CIIVISE le demandait. Donc nous, forcément, là-dessus, on se dit que c’est quand même étonnant. On va nous dire qu’on va faire la même chose avec des personnes qui sont parties et qui vont à l’encontre de ce qu’on a dit. Et puis, par ailleurs, le président lui-même, Sébastien Boueilh, pour lequel j’ai beaucoup de respect au niveau des actions qui sont menées, au niveau de son association Colosse aux pieds d’argile. Et pour moi, c’est là que c’est important, ce n’est pas lui qui a eu le pouvoir de se nommer, mais on l’a nommé.

Arnaud Gallais : C’est quand même une personne qui a des propos, on va dire, plus qu’ambigus et pour ma part, que je qualifierais même d’indignes au niveau de la prescription. Il compare la prescription bien souvent à la péremption sur des pots de yaourt. Moi, je suis désolé, c’est indigne pour les victimes. Ça me fait bondir, vous l’entendez sûrement à ma voix, c’est méconnaître les conséquences psychotraumatiques, méconnaître les schémas d’emprise. J’ai bien conscience que lui, dans sa situation, il fait partie des 8% de victimes qui ont bénéficié d’un soutien social positif parce qu’il a eu le soutien de ses parents. Moi, permettez-moi de vous le dire, moi, je fais partie des 92% restants et les 92% restants sont des personnes qui se retrouvent avec des questions d’addiction, des questions de différentes souffrances, etc. Et c’est à elles et eux qu’on a pensé au niveau de la CIIVISE. Et donc c’est bien une doctrine et on doute de la manière dont les choses vont évoluer positivement et dans le même sens de la civise.

Animatrice : Sébastien Boueilh, il était ancien rugbyman, il était sur France Info mercredi, il disait qu’il allait écouter les enfants, qu’il promettait d’améliorer la protection de l’enfance. Il faut peut-être attendre de voir ce qu’il va faire avant d’en juger, non ?

Arnaud Gallais : Oui, il a dit d’emblée que d’une certaine manière, on avait entendu les adultes et maintenant, il s’agit d’entendre les enfants. Attendez, il y a quand même un truc qu’il faut se dire. On parle de 10 % de la population française victime de violences sexuelles. Notre responsabilité, celle qu’avait prise le président de la République en 2021, quand il a nommé la CIIVISE. La CIIVISE, c’est quoi ? En réalité, c’est qu’il y ait une réparation collective. La CIIVISE, elle a joué un rôle de ce qu’on appelle une justice transitionnelle. Elle a permis à des gens, si vous voulez, de venir et de dire « J’ai attendu ce moment toute ma vie puisque d’une certaine manière, j’ai été tellement bafoué dans mes droits fondamentaux et donc il y a une responsabilité de l’État là-dedans. » Comment est-ce qu’on peut dire ça ? C’est-à-dire que maintenant, on détournerait la tête des victimes qui sont adultes et on passerait aux enfants. On fait quoi des personnes dont les faits ne sont pas prescrits aujourd’hui ? On fait quoi de tout ça ? Et donc il y a quelque chose qui est hyper ambigu et qui, nous, nous inquiète grandement. Et ce qui nous inquiète d’autant plus, permettez-moi de le dire également, et Eva Thomas le disait très bien dans votre reportage, c’est la forme.

Arnaud Gallais : Sur la forme, vous savez, en fait, c’est la silenciation et nous, ce qui nous amène à démissionner, c’est un mensonge. Parce que Madame Caubel, je vais le dire de cette manière-là, ment quand elle dit sur les plateaux de télé comme elle l’a fait, notamment sur RTL, sur la première intervention avec Sébastien Boueilh, quand elle dit directement que les membres de la CIIVISE ne voulaient plus travailler avec Édouard Durand. C’est entièrement faux, Madame. On lui a envoyé le 10 novembre dernier un mail collectif des membres de la CIIVISE, demandant le maintien de la CIIVISE avec Édouard Durand. Elle n’a jamais daigné répondre comme elle n’a jamais daigné répondre ni à Édouard Durand ni à Nathalie Mathieu (co-présidente). Et elle s’inscrit également en faux lorsqu’elle dit elle-même, et elle le sait très bien, lorsqu’elle dit que Nathalie Mathieu ne voulait plus travailler avec Édouard Durand. C’est entièrement faux également, parce que Nathalie Mathieu a toujours demandé qu’Édouard Durand soit maintenu. Et donc nous, plutôt que maintenir ce truc-là, on se rend compte que les personnes qui sont nommées, comme par hasard, sont des personnes qui s’inscrivent quand même à contre-courant. Et on voit ça au-delà des personnes elles-mêmes, comme une résistance à ce qui a été mis en place, là où il faudrait se rappeler des propos du président de la République. C’était « On vous croit, vous n’êtes plus seuls. » Et demander qu’on arrête avec l’impunité. Nous, ça nous inquiète grandement et ça me met beaucoup en colère.

Animatrice : D’après vous, il gênait le juge Durand parce que sa parole était trop libre, parce qu’il critiquait aussi, souvent, le traitement judiciaire des violences sexuelles ?

Arnaud Gallais : Bien sûr, c’est-à-dire que vous savez, ce qui a diligenté par ailleurs un autre mécanisme qu’on connaît bien, nous, victimes, et que le gouvernement a utilisé, vous savez, c’est un peu le processus d’intimidation. Il gênait, si vous voulez, on va parler clairement, c’est sorti dans Le Canard Enchaîné. En juin dernier, on sort un avis qui s’appelle « Le coût du déni », 9,7 milliards d’euros [par an]. Que fait le gouvernement derrière, et notamment Madame Caubel ? On nous fait une mission d’appui, soi-disant, pour nous aider à quelque chose. Il y a un interrogatoire quasiment de quatre heures en octobre, alors qu’on est en plein dans le rapport de la CIIVISE, qui vise à remettre en question la manière dont la CIIVISE a pu fonctionner, « pourquoi vous avez fait appel, notamment, au Collectif Féministe Contre le Viol [une association avec 30 d’expérience de gestion d’une ligne téléphonique d’écoute pour les victimes de viol] ? Oui, bien sûr qu’il gênait. Il gênait quand on dit qu’en France, il n’y a que 3% des agresseurs qui sont condamnés, quand on dit qu’en France, il y a 73% des plaintes qui sont classées sans suite. Et quand on est magistrat, on sait bien, moi, je le vois bien, il y a des magistrats qui réagissent. Je trouve que c’est un homme courageux pour ça et que surtout, la CIIVISE, grâce à lui, mais grâce à nous toutes et tous, à cette philosophie. On a eu 30 000 témoignages. On a fait, à mon sens, office de fait social et de soutien social inconditionnel pour des victimes qui n’avaient jamais été soutenues de leur vie. Et ça, c’est important et on est inquiets de la suite et de la manière dont les choses sont parties. Et permettez- moi, juste d’ajouter, sincèrement, le manque de communication aujourd’hui ne profite à personne et ne permet surtout pas une bonne transition. Et je dis que cette responsabilité, c’est une responsabilité de la secrétaire d’État, Charlotte Caubel. C’est son boulot. Si elle voulait changer de président, et annoncer des choses, la moindre des choses, vous en conviendrez, c’est au moins de répondre quand on lui pose une question.

Animatrice : En même temps, votre mandat se terminait le 31 décembre. Donc là, cette démission collective [2 semaines avant], c’est un coup d’épée dans l’eau. Ça va changer quoi ?

Arnaud Gallais : Je vais vous dire, moi, c’est très simple. Je fais le parallèle avec notamment [l’actrice] Adèle Haenel. « On se lève et on se casse ». Vous voyez ce que je veux dire ? Je préfère partir de moi-même, nous préférons à 11 partir de nous-mêmes, que de regarder, en tant que spectateurs/spectatrices, ce simulacre au bout d’un moment, ça suffit et on ne peut pas entendre dire que nous, d’une certaine manière, nous avons demandé à ne plus travailler avec Édouard Durand. C’est tout le contraire, on souhaitait le maintien de la doctrine et donc c’est aussi un geste de solidarité envers aussi les 30 000 personnes qui ont témoigné dans un cadre bien précis et certaines d’entre elles, je le dis aussi sur cette antenne, certaines personnes ont demandé d’ailleurs à retirer leurs témoignages. C’est peut-être pas pour rien, elles m’ont demandé « comment on fait aujourd’hui hui ? », parce que les personnes ont peur [de ce qui pourrait être fait de leur témoignage par la nouvelle CIIVISE si changement de doctrine].

Animatrice : J’imagine, vu ce que vous en dites, que vous n’avez plus beaucoup de contacts avec Charlotte Caubel, la secrétaire d’État à l’enfance, aujourd’hui.

Arnaud Gallais : Nous, on reste disposés aujourd’hui au dialogue. On l’a toujours été, mais madame Caubel n’a jamais répondu à quoi que ce soit. Donc, il n’y a pas de souci si madame Caubel veut qu’on discute. Mais voyez, aujourd’hui, je vous dis et je le répète, 10 novembre, on pose une question, on repose une question le 17 novembre en demandant si elle maintient de la CIIVISE et en fait, rien du tout, jamais aucune réponse. Donc ce n’est pas nous. Nous, on a toujours été disposés à entendre sa réponse. Elle n’a jamais daigné nous la donner.

Animatrice : Nous, on a essayé de la joindre pour avoir sa réponse sur France Info. Elle nous a dit qu’elle était en déplacement, qu’elle n’était pas disponible aujourd’hui, qu’elle ne voulait pas répondre. Ça ne veut pas dire qu’elle ne répondra jamais. D’autant plus avec ce témoignage que vous faites ce matin sur France Info. Merci beaucoup, Arnaud Gallais, d’avoir pris quelques minutes pour nous répondre.

Arnaud Gallais : Merci à vous, merci infiniment.

Animatrice : On a bien entendu votre colère en direct sur France Info, activiste des droits de l’homme et membre démissionnaire de la CIIVISE, Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.