Pour Europe 1, Arnaud Gallais revient sur la crise de la CIIVISE

Arnaud Gallais, activiste des droits de l’enfant, cofondateur de MouvEnfants et ancien membre de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, répond aux questions d’Alexandre Le Mer. Ensemble, ils reviennent sur les accusations d’agressions sexuelles qui pèsent sur la vice-présidente de la Ciivise.

Transcription de l’interview d’Arnaud Gallais par Alexandre Le Mer

Alexandre Le Mer : On en vient à ce coup dur pour la protection des droits de l’enfant et la lutte contre les violences sexuelles dont ils sont victimes. La CIIVISE, la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants vient de perdre coup sur coup ses deux principaux dirigeants. Le président, Sébastien Boueilh, qui a démissionné peu après la mise en retrait totale de sa vice-présidente Caroline Rey-Salmon, visée elle-même par une plainte pour agression sexuelle. Bonjour Arnaud Gallais.

Arnaud Gallais : Bonjour.

Alexandre Le Mer : Première question d’abord. Quel est votre sentiment ce matin ? C’est un sentiment de gâchis ?

Arnaud Gallais : C’est exactement ça. C’est-à-dire que la première réaction que j’ai, vous voyez, c’est gâchis, colère. C’est-à-dire qu’on avait une personne qui était coprésident de la CIIVISE, qui voulait le rester, à savoir Édouard Durand. qui avait permis de gagner un capital confiance tellement nécessaire auprès des personnes, à savoir qu’il y a 30 000 personnes qui ont témoigné au niveau de la CIIVISE, donc la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Il y a eu l’éviction du juge Durand, il y a eu une incompréhension suite à cela, et aujourd’hui on est face à un camouflet. Ce qui est terrible, c’est que ça remet en question, à mon sens, tout ce travail qui avait été fait et tout ce que les victimes elles-mêmes nous ont confié, nous ont remis pour produire ce rapport. Et ça, très sincèrement, c’est extrêmement dommageable. Donc bien sûr, c’est gâchis, colère, et c’est vraiment une forte incompréhension.

Alexandre Le Mer : Voilà. Alors pour remettre un peu de contexte, vous avez vous-même démissionné de cette commission en décembre à la suite de l’éviction du juge Durand, le juge pour enfants Édouard Durand. Une nouvelle présidence a été mise en place. Le président de cette commission, le nouveau, est lui-même parti. C’est un signe de soutien. à sa vice-présidente Caroline Ressalmon, qui est médecin légiste, qui est accusée d’agression sexuelle par une ancienne patiente âgée de 25 ans, sur laquelle elle a pratiqué il y a 4 ans un examen gynécologique, dans le cadre d’une enquête pour inceste. Le choix de la part du nouveau président de soutenir cette vice-présidente qui fait face à ces accusations, ça vous ne le comprenez pas non plus, Arnaud Gallais

Arnaud Gallais : Non, c’est atroce, c’est atroce et c’est surtout qu’une fois de plus, ça remet en question finalement tout l’espace qu’était la CIIVISE. On a offert aux personnes un espace de soutien social inconditionnel, là où des personnes, 9 fois sur 10, ne bénéficient d’aucun soutien. Et ça, je pense que c’est essentiel de le rappeler. Ça veut dire que la question qui est posée aujourd’hui, très clairement au niveau de la CIIVISE 2, c’est de se dire, est-ce que l’espace est encore sécurisé quand on a au plus haut niveau un soutien qui est apporté à la personne qui est présumée agresseur, parce que la justice bien entendu est en cours, la présomption d’innocence, on connaît l’histoire, mais surtout qui n’apporte aucun soutien à une victime d’inceste. Très important dans ce que vous dites, c’est-à-dire que la personne qui dépose plainte, c’est une victime d’inceste, et c’est dans le cadre effectivement d’une expertise. Et donc c’est d’une gravité extrême ce qu’il s’est passé. Et nous, de notre vœu, je vous le dis clairement, nous on se demande même, mais comment se fait-il, même qu’il y ait encore des membres au niveau de la commission, alors même que théoriquement, si vous voulez, c’est la vice-présidente et le président qui ont nommé ces membres-là. Aujourd’hui, il n’y a plus de tête. Théoriquement, moi j’en appelle, dans un État de droit, quand ça dysfonctionne, théoriquement c’est à l’État de reprendre les choses. Et une fois de plus, le gouvernement est aux abonnés absents. Alors on a entendu dire, ce n’est même pas d’ailleurs la ministre, en charge directement, parce que c’est Aurore Berger qui a pris la parole par rapport à ça, qui n’est pas du tout en charge de l’enfance, puisque c’est la ministre nouvellement nommée Sarah El Haïry qui aurait dû le faire. On a appris que la CIIVISE allait se poursuivre. Mais dans quel cadre en fait ? Les personnes se sont réunies aujourd’hui sans présidence, etc.

Alexandre Le Mer : Ça ne vous paraît pas possible dans le contexte actuel en fait ?

Arnaud Gallais : Non, mais attendez, on se rend bien compte qu’aujourd’hui, l’espace est complètement insécurisé par rapport à ce qui s’est passé. En quatre jours, tout a volé en éclats.

Alexandre Le Mer : Ce que les auditeurs doivent savoir, c’est très important Arnaud Gallais, c’est que c’est quelque chose qui vous touche dans votre chair, le sens de votre combat, et c’est que lorsque vous étiez enfant, vous avez vous-même été victime d’inceste, de viols incestueux.

Arnaud Gallais : Exactement, et ce qu’ avait permis, vous savez, la première CIIVISE avec Édouard Durand et Nathalie Mathieu, c’était de réserver une place au sein de la CIIVISE aux survivantes et survivants. Pourquoi ? Parce que nous étions cinq exactement à être au sein de la CIIVISE, donc à être membres qualifiés, et là on se rend compte que d’ailleurs dans la nouvelle CIIVISE il n’y a plus du tout en fait de membres qualifiés, donc les survivants qui avaient été vus dans un premier temps finalement comme avec un savoir expérientiel sur le sujet, ont été complètement de côté. Vous voyez ce que je veux dire ? Donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire que la doctrine a complètement changé, c’est ce qu’on avait dit initialement, c’était nos craintes, et malheureusement nos craintes se sont avérées vraies.

Alexandre Le Mer : Quand elle arrive à travailler, cette commission, parce que ça n’a plus l’air très évident, elle travaille comment dans sa lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants, la CIIVISE ? Est-ce que c’est un recueil de témoignages ? C’est la rencontre de victimes ? Ce sont des signalements à la justice ?

Arnaud Gallais : Exactement, c’est-à-dire que théoriquement en fait, ça aurait dû être ça, et là on apprend aussi dans la nouvelle version que ça va être quelque chose qui va être délégué au niveau des associations. Et là aussi, ça surprend de nombreuses personnes qui se disent, mais tout l’intérêt c’était en fait de témoigner à une commission rattachée à l’État, d’une certaine manière, ça avait une valeur symbolique forte, et ça, ça a été complètement, comment dire, vidé de son sens, puisqu’aujourd’hui, il s’agit, a priori, de faire appel à certaines associations pour mettre en place ces réunions publiques, ce que faisait la CIIVISE jusqu’alors. Donc, on a vidé de son sens la CIIVISE et ça faisait bien partie de son sens.

Alexandre Le Mer : Mais c’est qui, on, en fait ?

Arnaud Gallais : C’est le gouvernement, c’est-à-dire que c’est la mission effectivement telle qu’elle a été confiée. Bien sûr, c’est Charlotte Caubel et donc d’une certaine manière Emmanuel Macron qui a validé que les choses se passent comme ça, tout simplement parce que je pense que dire dans ce pays encore une fois que seuls 3% des agresseurs sont condamnés et moins de 1% en cas d’inceste, c’est quelque chose qui est peut-être difficile à entendre et surtout quand on ajoute forcément face à ces chiffres qu’on vit en fait dans un pays où c’est l’impunité complète en matière de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants et c’est pour ça que les enfants sont exposés, on voit bien qu’on a du mal à l’entendre. Ce qui me semble plutôt rassurant, c’est la réaction des personnes. On vient dire de manière collective, tel que l’avait fait le mouvement #MeTooInceste, que finalement on ne veut plus de cette société comme ça, il faut qu’on change la société avec la société, et les conditions, ce sont la mise en application des 82 préconisations de la CIIVISE. Le nouveau président avait remis en question d’emblée certaines mesures de la CIIVISE, comme par exemple l’imprescriptibilité. On ne peut pas arriver et dire on va poursuivre le travail et donc demander à vérifier l’application des mesures, et arriver le premier jour en disant qu’il y en a une finalement, on ne sait pas trop si elle est vraiment adaptée.

Alexandre Le Mer : Ce que vous êtes en train de nous dire ce matin sur Europe 1, Arnaud Gallais, c’est que la lutte contre l’inceste, là, elle recule.

Arnaud Gallais : Oui, elle prend effectivement du plomb dans l’aile. Mais ce que je veux tout simplement dire et faire passer comme message au niveau des auditeurs et auditrices, c’est que de manière très simple, on se rend compte que le gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux. Théoriquement, les personnes qui nous gouvernent devraient prendre les choses à bras le corps et agir et intervenir. La France, moi je l’ai dit systématiquement, je le redis ici, est une république bananière en matière de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants. La preuve en est, on laisse la culture du déni alors qu’on parle de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants qui devraient lutter théoriquement contre le déni. Enfin bon sang quand même, il faut un peu de réaction, un peu de courage politique. un peu d’action et moi j’en appelle vraiment à Sarah El Haïry, au Président de la République, au Premier ministre, etc. de se bouger en la matière parce que là c’est plus possible, c’est insupportable et ça insécurise au possible les victimes et donc ça crée ce vent de mécontentement.

Alexandre Le Mer : On a entendu votre colère très profonde et votre appel ce matin sur Europe 1. Merci Arnaud Gallais, cofondateur de Mouv’ Enfants, association de défense des droits de l’enfant et ancien membre donc de cette commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Merci à vous.

Arnaud Gallais : Merci infiniment.