Mouv’Enfants est signataire de cette tribune écrite par la Collective des mères isolées, Justice des familles, et WeToo stop child abuse, et publiée sur le Club de Médiapart. Nous la reproduisons ci-dessous.
Après « Briser le silence », voici venu le temps de « Briser l’espoir ». Alors que la responsabilité qui nous incombe est de faire preuve de lucidité pour réformer un système générateur de violences inacceptables ; alors que le gouvernement avait commencé à ouvrir un œil sur ce système ; ce dernier a clairement décidé de faire machine arrière.
La campagne de Charlotte Caubel, qui exhorte les victimes à « briser le silence », place une fois de plus la responsabilité du côté des victimes – comme si c’était à elles d’agir – plutôt que de s’attaquer à la société des adultes, et de pointer la responsabilité de ceux à qui revient le devoir de protéger. Reconnaître la responsabilité des adultes, regarder en face les problèmes de notre société, les nommer : c’est ce qu’a fait le juge Edouard Durand. Il a été remercié et brutalement évincé de la CIIVISE le lundi 11 décembre 2023, après trois années de dévouement absolu pour les victimes d’inceste. Son éviction – largement condamnée par le monde associatif et par les membres de la Ciivise eux-mêmes, dont 11 ont déjà démissionné 1Le Monde/AFP, « Onze membres de la Ciivise démissionnent en signe de protestation, après le remplacement d’Edouard Durand »,14/12/2023 (voir l’article) – est l’arbre qui cache une forêt des plus inquiétantes.
L’inceste, et au-delà, toutes les formes de violences envers les enfants, est un sujet politique, une histoire plurimillénaire de domination masculine et adultiste. Seule une volonté politique pourra venir à bout de ce fléau qui n’est tabou que parce que tout est fait pour fabriquer le silence et garantir le maintien d’un système judiciaire qui protège l’impunité des agresseurs. Pourquoi est-il si difficile pour notre société d’adultes, gangrénée par des siècles de culture patriarcale, de se remettre en question ? En effet, quelle solution est apportée au parent qui recueille les dénonciations d’inceste de son enfant et cherche à le protéger ?
Dans l’écrasante majorité des cas, c’est la mère à qui revient la responsabilité de signaler les suspicions à l’institution 2Dans 96% des cas, les auteurs d’inceste sont des hommes. Source : Statista, « Pédocriminalité, inceste et violences sexuelles sur mineurs en France – Faits et chiffres » (voir la source). Et contre toute attente, au lieu de protéger l’enfant, notre société se livre à une véritable « chasse aux sorcières » à l’égard des mères qui croient leurs enfants. D’autant plus lorsqu’elles dénoncent au passage les violences qu’elles ont elles-mêmes subies de la part d’un conjoint dont on continue à dire qu’il peut être un « bon père ». On les condamne, elles et leurs enfants, sur l’autel de la « présomption d’innocence ». Or personne n’a jamais demandé à condamner un père sur la seule parole d’un enfant, ni de sa mère ! Tout ce que nous demandons, c’est la mise en place d’un principe de précaution 3Conformément aux recommandations de la Ciivise, qui préconise la création d’une « ordonnance de sûreté » pour les enfants. Rapport complet de la CIIVISE, « Violences sexuelles faites aux enfants – « On vous croit » », p.35, Préconisation n°26 (voir la source).. Nous exigeons du bon sens : quel parent, fut-il juge, laisserait son enfant repartir chez un parent qui lui fait peur, et dont il dénonce lui-même des actes incestueux ?
Deux rapporteurs spéciaux de l’ONU ont directement interpellé l’État français, le 27 juillet dernier, pour lui demander des explications concernant trois affaires emblématiques dans lesquelles une mère se retrouve condamnée pour n’avoir pas remis l’enfant au père malgré des signalements de professionnels, et l’enfant placé entre les mains de celui qu’il dénonce 4Mandats du Rapporteur spécial sur la vente d’enfants, l’exploitation sexuelle d’enfants et les abus sexuels sur enfants; de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences et du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles ; 27/07/2023 ; AL FRA 8/2023 (voir la source). Ces cas ne sont malheureusement pas isolés. En effet, rien n’est mis en œuvre pour permettre une véritable protection des enfants victimes de violences.
Les médecins ne font des signalements qu’au péril de leur carrière. 101 professionnels du droit, de la santé et du monde associatif se sont réunis pour dénoncer la façon dont l’Ordre des Médecins fait obstruction à la lutte contre les violences faites aux enfants : « l’Ordre a condamné à de lourdes interdictions d’exercice des médecins qui n’avaient fait que signaler des enfants en danger. Ce faisant, il n’a pas respecté l’article 226-14 du Code pénal qui précise que dans ces cas la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire ne peut être engagée.» 5L’Obs, « Violences faites aux enfants : 101 professionnels du droit, de la santé et du monde associatif répliquent à l’Ordre des Médecins », 20/10/2023 (voir la source)
La création d’une commission « scientifique » sur la parentalité par la ministre des Solidarités et de la Famille, Aurore Bergé, aurait pu être une bonne nouvelle si elle ne s’était pas faite sous le signe de la sanction et de la stigmatisation des familles monoparentales qui sont, à 85%, portées par des femmes. Par ailleurs, l’un de ses présidents, le psychiatre Serge Hefez, défend le « syndrome d’aliénation parentale ». Syndrome qui, bien que rejeté par la communauté scientifique internationale, continue de prospérer au sein des tribunaux pour défendre les hommes accusés de pédocriminalité en rejetant la culpabilité sur les mères et en les accusant de manipuler leur enfant 6Comme l’ont encore rappelé les chercheurs Gwenola Sueur et Pierre-Guillaume Prigent dans une interview parue le lundi 11 décembre, ce syndrome n’est autre qu’une invention perverse du psychiatre masculiniste américain Richard Gardner destinée à protéger les hommes accusés de pédocriminalité, et qui n’a jamais été reconnue par la communauté scientifique. Source : Les Nouvelles News, Pauline Ferrari, « Comment le « syndrome d’aliénation parentale » a envahi la sphère politique et judiciaire », 11/12/2023 (voir la source)!
La loi Santiago 7Proposition de loi « Mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales », déposée par Isabelle Santiago (voir la source), qui propose de suspendre les droits du parent mis en cause, constitue une avancée que nous saluons, mais n’intervient qu’à partir du moment où il y a « mise en examen » et non à partir de l’enquête préliminaire, ce qui concerne seulement un cas sur quatre ! 74% des enfants doivent retourner chez leur agresseur après l’avoir dénoncé. Par ailleurs, elle fait l’impasse sur le pouvoir absolu laissé aux Juges aux affaires familiales de restituer ses droits à un parent condamné au pénal passé un délai de six mois.
Où que l’on regarde, nous ne pouvons qu’être a minima inquiet·es. Nous n’en sommes plus à discuter de mesures que nous pourrions juger trop timides ou insuffisantes : nous constatons, effrayé·es, un virage à 180° de la part du gouvernement. C’est pourquoi, nous, associations engagées dans la lutte contre les violences faites aux enfants et aux femmes, adultes et parents concerné·es et responsables, appelons à une prise de conscience des pouvoirs publics quant au caractère alarmant de la situation et apportons notre soutien inconditionnel aux 11 membres qui ont démissionné de la Ciivise en signe de protestation.
Tribune co-écrite par la Collective des mères isolées, Justice des familles, et WeToo stop child abuse.
Associations signataires :
• Reppea
• La Mouette
• Protéger l’enfant
• SOS Inceste pour revivre
• Union Nationale des Familles de Féminicides
• BeBrave
• Caméléon
• Un Nouveau Jour
• Mouv’Enfants
• Protégeons les enfants
• Collectif enfantiste
• Fédération Nationale des Victimes de Féminicides
• CDP Enfance
• La génération qui parle
• Pas de secret
• Le déni ça suffit
• Innocence en danger
• Les enfants de Tamar
- 1Le Monde/AFP, « Onze membres de la Ciivise démissionnent en signe de protestation, après le remplacement d’Edouard Durand »,14/12/2023 (voir l’article)
- 2Dans 96% des cas, les auteurs d’inceste sont des hommes. Source : Statista, « Pédocriminalité, inceste et violences sexuelles sur mineurs en France – Faits et chiffres » (voir la source)
- 3Conformément aux recommandations de la Ciivise, qui préconise la création d’une « ordonnance de sûreté » pour les enfants. Rapport complet de la CIIVISE, « Violences sexuelles faites aux enfants – « On vous croit » », p.35, Préconisation n°26 (voir la source).
- 4Mandats du Rapporteur spécial sur la vente d’enfants, l’exploitation sexuelle d’enfants et les abus sexuels sur enfants; de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences et du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles ; 27/07/2023 ; AL FRA 8/2023 (voir la source)
- 5L’Obs, « Violences faites aux enfants : 101 professionnels du droit, de la santé et du monde associatif répliquent à l’Ordre des Médecins », 20/10/2023 (voir la source)
- 6Comme l’ont encore rappelé les chercheurs Gwenola Sueur et Pierre-Guillaume Prigent dans une interview parue le lundi 11 décembre, ce syndrome n’est autre qu’une invention perverse du psychiatre masculiniste américain Richard Gardner destinée à protéger les hommes accusés de pédocriminalité, et qui n’a jamais été reconnue par la communauté scientifique. Source : Les Nouvelles News, Pauline Ferrari, « Comment le « syndrome d’aliénation parentale » a envahi la sphère politique et judiciaire », 11/12/2023 (voir la source)
- 7Proposition de loi « Mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales », déposée par Isabelle Santiago (voir la source)