Dans Libération du 4 janvier, Arnaud Gallais, président de Mouv’Enfants, et 11 autres membres démissionnaires de la CIIVISE, expliquent les raisons de leur démission collective
Alors que la nouvelle Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) vient d’être nommée, douze anciens membres dénoncent des propos inexacts qui mettent en cause leur travail.
Dans le sillage du mouvement #MeToo et de son corollaire #MeTooInceste, mouvements historiques de libération de la parole des survivant·e·s de violences sexuelles, nous avons reçu, avec gravité, la mission qui nous a été confiée par le président de la République en janvier 2021.
La Ciivise : une action dans un mouvement sociétal historique
La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a inscrit son action dans un mouvement sociétal historique où plus de 80 000 personnes avaient déjà témoigné sur le réseau social Twitter (renommé X). Nous rappelons ici avec circonspection la conclusion puissante du discours du Président le 24 janvier 2021 «On est là. On vous écoute. On vous croit. Et vous ne serez plus jamais seuls.» Sur ces mots, nous avons bâti le socle doctrinal nécessaire pour combattre l’impunité des crimes sexuels sur les enfants.
Aux côtés de Nathalie Mathieu, coprésidente de la Ciivise, et du magistrat Edouard Durand, nous avons structuré collectivement les principes qui nous paraissent essentiels à la définition d’une politique publique d’envergure, adaptée et efficace face à l’ampleur des crimes et de la souffrance perpétuelle. Les 82 préconisations que nous avons présentées pour cela forment un tout, un corpus cohérent qu’il est dangereux d’utiliser à la carte.
La Ciivise fut indépendante. C’était la condition première de l’entreprise de vérité souhaitée par le Président. Nous avons assumé cette indépendance au risque de déplaire, au risque de bousculer ce qui empêche durablement la libération de la parole : le doute des adultes, les pressions sociétales, l’omerta. Ce fut l’opportunité inespérée de créer l’espace d’une justice transitionnelle adaptée 1L’ONU définit la justice transitionnelle comme «l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation», ONU-Haut Commissariat aux droits de l’homme., où la reconnaissance de la gravité des actes et la réconciliation peuvent coexister si les victimes le souhaitent.
La cohérence entre le discours présidentiel et le dispositif proposé par la Ciivise nous a permis de recueillir près de 30 000 témoignages en deux ans. Par la confiance en cette simple promesse d’écouter et d’entendre ce qu’elles avaient à dire, ces personnes nous ont confiés – pour beaucoup – qu’ils et elles avaient attendu ce moment toute leur vie.
© Photo Laurent Hazgui/Divergence
Fidèles à la mission confiée par Emmanuel Macron
C’est d’abord pour être capable de soutenir encore le regard de ces personnes que nous avons choisi collectivement de démissionner de nos fonctions au sein de la Ciivise le 14 décembre dernier. Nous avons fait cela par fidélité à toutes les personnes rencontrées et par fidélité à la mission que nous avait confiée le président Emmanuel Macron.
Par cette démission nous dénonçons aussi la gestion pour le moins chaotique de l’après Ciivise. La majorité de ses membres a écrit à la secrétaire d’Etat à l’Enfance, Charlotte Caubel, pour lui demander le maintien de la Ciivise et de confirmer Edouard Durand à sa présidence, nous n’avons reçu aucune réponse.
La Ciivise a restitué le 20 novembre dernier trois années de travail, trois années d’engagement, d’expertises et de fidélité à la parole des victimes. 1000 personnes étaient présentes. Mais aucune représentation gouvernementale n’a daigné venir.
Aujourd’hui, nous sommes contraints de dénoncer des propos inexacts qui mettent en cause notre travail et le fonctionnement de la Ciivise.
Nous tenons à l’affirmer clairement, il n’y a pas eu de dysfonctionnements au sein de la Ciivise, comme l’a laissée entendre la secrétaire d’Etat chargée de l’enfance. Au contraire les 30 000 témoignages, les avis, les rapports démontrent que la Ciivise sous la conduite des coprésidents a rempli sa mission.
La secrétaire d’Etat affirme que neuf membres auraient claqué la porte au cours du mandat, nous sommes témoins du contraire. Seuls deux membres ont démissionné, dont Caroline Rey-Salmon, la nouvelle vice-présidente de la Ciivise, et cela en raison de désaccords de fond sur la protection des enfants, notamment sur l’obligation de signalement des violences par les médecins que, nous, nous réclamons.
On a aussi reproché à la Ciivise son approche féministe, ce qui est scandaleux. Cette approche adapte pourtant nos préconisations à la réalité. 80 % des victimes sont des filles et 97 % des agresseurs sont des hommes, dont 3 % seulement sont condamnés. La France entière reste incrédule devant cette attitude.
Naturellement, nous avons eu des débats, nous avons pu exprimer des désaccords. Plutôt que de rechercher des dysfonctionnements inexistants, il conviendrait de saluer que notre collectif de bénévoles sous l’impulsion de nos coprésidents soit resté opérationnel. Cette situation, résolument hostile et opposée aux propres paroles du président de la République, conduit aujourd’hui de nombreuses personnes à demander à la Ciivise de retirer leurs témoignages. Ultime scandale.
Il était pourtant temps de passer de « je te crois » à « je te protège », et non de fracturer la confiance et de détruire cet investissement collectif. Fidèles à nos engagements, nous ferons vivre ce rapport pour le rendre accessible au plus grand nombre et lutter contre les violences sexuelles faites aux enfants.
Tribune de douze anciens membres de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) :
Eva Thomas, Fondatrice de SOS Inceste
Laurent Boyet, Président de l’Association les papillons
Arnaud Gallais, Cofondateur de prévenir et protéger et de Mouv’enfants
Angélique Mouly, Présidente du CVS de la Maison d’accueil Jean-Bru
Ernestine Ronai, Responsable du premier Observatoire départemental des violences envers les femmes en Seine-Saint-Denis
Jean-Paul Mugnier, Thérapeute familial et de couples, institut d’études systémiques de Paris
Fabienne Quiriau, Experte en protection de l’enfance
Karen Sadlier, Docteure en psychologie clinique
Muriel Salmona, Psychiatre, présidente de l’association Mémoire traumatique
Linda Tromeleue, Psychologue clinicienne, thérapeute familiale spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences intra et extra-familiales
Nathalie Moreau, Présidente de l’Association d’action recherche et échange entre les victimes d’inceste (Arevi)
Marie-Françoise Bellée Van Thong, Ancienne membre du Conseil national de la protection de l’enfance.
2 commentaires
J’ai espoir que notre société se responsabilise et agisse, pour mieux garantir les droits fondamentaux de tous nos enfants.
Les violences sont souvent mises sous silences par manque de preuves, peurs, corruption…
Le travail est à faire auprès de chaque nouveau parent à la mairie, dès la maternelle et chaque année. Un travail concret et accessible de sensibilisation des droits de l’enfant, d’éducation, de mœurs, de croyances, me semblent les sources clefs en plus de nos politiques pour espérer une amélioration et des recours positifs !
Bonsoir,
Vous avez absolument raison, c’est toute la société qui doit et peut se mobiliser pour défendre les enfants contre les violences, et la sensibilisation doit se faire aussi bien auprès des parents, avant même la naissance des enfants, dès le début de la grossesse et tout au long de l’enfance, mais également auprès des professionnels qui seront amenés à voir l’enfant (médecins et personnels soignants, enseignants et personnels éducatifs, encadrants associatifs, …)