Ce qui devait être un documentaire filmé sur plusieurs mois s’est transformé en une aventure de plus de trois ans. Guy Padovani a filmé Arnaud Gallais au plus près et nous offre un témoignage brut et inspirant. Lorsqu’ils se rencontrent, Arnaud Gallais est en pleine ascension ; sa voix se fait entendre grâce à des prises de parole médiatiques, il devient membre de la CIIVISE et coécrit avec Ixchel Delaporte sa biographie, « J’étais un enfant » (Flammarion, 2023).
Dans ce documentaire de 52 minutes, diffusé sur France 3 et disponible en replay jusqu’au 26/05/2024, Padovani dévoile le portrait d’un homme en colère qui se transforme en activiste acharné et devient une figure de la protection des enfants contre les violences sexuelles et l’inceste.
Le silence
Arnaud Gallais a grandi en banlieue parisienne, dans une famille plutôt bourgeoise où les violences physiques et les humiliations étaient quotidiennes. Tout le monde était au courant, mais personne n’interviendra pour faire cesser les abus. La mère d’Arnaud, qui témoigne à visage caché dans ce documentaire, tout comme son père et ses deux sœurs, tente d’expliquer ce silence consentant : « Ce n’est pas que j’étais démunie, mais, dans mon éducation, quand tu fais des choix, tu dois les assumer. » À huit ans, l’enfant qu’est Arnaud Gallais est violé pour la première fois par son grand-oncle, prêtre missionnaire, de passage dans sa famille. À chacune de ses visites, les parents du jeune garçon le laissent dormir la nuit dans la même chambre que son agresseur. C’est le début d’une culpabilité qui durera jusqu’à ses 19 ans. Un soir, en visionnant un reportage sur des prêtres pédocriminels, Arnaud Gallais, devenu jeune homme, comprend alors qu’il est une victime et qu’il n’a jamais donné son consentement à ces agressions sexuelles.
Comme souvent, lorsque les victimes parlent et dénoncent l’inceste, elles sont le plus souvent rejetées par leur familles. L’activiste se retrouve seul face à son combat, au sein d’une famille éclatée par le choc et qui ne parviendra pas à le soutenir. « À ce moment-là, on voudrait un « Je t’aime », et même ça, je ne l’ai pas eu. »
Inceste : un homme en colère de Guy Padovani © France Télévision
La colère
Au cours d’une séance de psychothérapie, il comprend qu’il a également été victime d’inceste par ses cousins. Ces derniers avouent les faits tout en les banalisant. L’activiste qui, d’après les spécialistes, « avait tout pour devenir psychotique », nous livre ses pensées les plus sombres et nous décrit, en partie, le chemin difficile de la reconstruction. Dans une France où la pédocriminalité sévit toutes les trois minutes, où trois à cinq enfants par classe sont victimes d’inceste et où 160 000 enfants sont victimes d’agressions sexuelles chaque année (rapport de la CIIVISE, 2023), la colère d’Arnaud Gallais l’inscrit dans une dynamique activiste. Il poursuit des études d’anthropologie et commence son engagement. Au fil des années, la colère le pousse au combat, un combat personnel et collectif.
Dans ce documentaire, Padovani a filmé un homme en colère portant sa voix pour toutes les victimes.
La force
Sa force, c’est Armel, son fils ; c’est lui qui lui permet de traverser les moments difficiles et les envies d’en finir. « Celui qui a tout dégoupillé, c’est Armel, je me suis dit : bien sûr, mon fils, c’est ma priorité, je suis con ou quoi ? Qu’est-ce que je fais, moi ? » Grâce à Armel, Arnaud Gallais fonde sa propre famille et se promet de ne pas ressembler à son père. Debout, il mène le combat de toute une vie. C’est ce que révèlent la plupart des victimes face à l’inceste et aux violences sexuelles qu’elles ont subies pendant leur enfance. En France, où moins de 1 % des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation en cour d’assises, les victimes affirment quant à elles souvent avoir pris perpétuité.
La prévention
« Un homme en colère » est un documentaire qui mériterait d’être diffusé dans les établissements scolaires, non seulement pour l’exemple de résilience de son protagoniste, mais aussi pour la « cruelle banalité » de ce qu’il a vécu. Un Français sur dix déclare avoir été victime d’inceste, les faits rapportés dans le documentaire de Padovani sont matière à prévention et également un véritable support d’éducation. En novembre 2023, la CIIVISE, présidée par Édouard Durant, a rendu un rapport accablant sur le traitement des violences sexuelles envers les enfants. Après trois ans de travail et le recueil de témoignages de 30 000 victimes, la CIIVISE a publié 82 préconisations pour mettre en place un plan d’action à l’échelle nationale. Aujourd’hui, Arnaud Gallais, à travers ses prises de parole et l’association Mouv’Enfants qu’il préside, milite pour l’application de ces 82 préconisations. Il sillonne également le territoire avec le projet de sensibilisation et de démocratie participative : La Caravane de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants, dont un livre blanc sera présenté en 2024.